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3 juin 2008

Sur www.atd-quartmonde.org

Parce que j'ai été très impressionnée par le témoignage d'Alice et le courage de Valérie:

« Un avenir pour tous les jeunes ! »

                                                   
Alice Noël, de l’équipe d’ATD Quart Monde à Genève, raconte la lutte de Valérie de trouver sa place dans le monde du travail

Valérie a dix-huit ans. Elle a vécu toute sa vie à Genève. Depuis qu’elle est toute petite, elle vit avec son père qui est en mauvaise santé. Beaucoup trop jeune, elle a dû porter des responsabilités au-delà de ses forces et elle a dû comprendre pourquoi sa maman n’avait pas eu la force de rester auprès d’eux.

Valérie est une fille très intelligente et communicative, mais ça fait maintenant plus de deux ans qu’elle est à la recherche d’une place d’apprentissage et qu’elle ne trouve pas. Pourquoi est-ce qu’elle ne trouve pas de place dans le monde du travail, le monde des adultes ? Manque de motivation, de volonté ? Trop sélective dans ses choix ? Quatre-vingt lettres de motivation, chacune suivie d’une réponse négative, d’innombrables démarches, dix mois de structure de formation et d’insertion et plusieurs rêves sacrifiés prouvent bien le contraire.

Pendant ces mois de recherche d’emploi, où elle se sentait « lâchée dans la nature », Valérie prenait un rôle central dans la préparation de la venue d’une des Caravanes Européennes de la Fraternité. Le projet des caravanes était pour elle un lieu où elle pouvait avoir confiance en elle, être elle-même, se sentir utile. Lors d’une réunion de l’Université populaire [1], Valérie a impressionné un groupe d’adultes avec son témoignage sur la difficulté de ne pas avoir de vie active, de son rythme perdu, de la motivation qui devient de plus en plus difficile à puiser avec chaque refus.

Entre temps, Valérie était prête à accepter n’importe quel emploi, juste quelque chose pour ne plus être dans le vide, pour ne plus dépendre de son père. Elle a donc reçu une offre de stage du supermarché trois jours avant l’arrivée de la caravane pour la semaine qui suivait ; c’était la semaine caravane à Genève.

Ce qui m’a frappée sur le moment même c’était le fait que Valérie n’était pas plus déçue, qu’elle ne s’énervait pas plus que ça que la semaine caravane pour elle allait tomber à l’eau. Ça faisait quand même sept mois qu’elle s’était investie dans ce projet des caravanes ! Mais elle restait calme : « Ben, c’est comme ça toute façon je ne peut rien y faire. » Et c’est là que j’ai à nouveau senti combien des jeunes comme Valérie ont à m’apprendre. Ça m’impressionne de voir à quel point ces jeunes peuvent être adultes et prendre les choses comme elles sont, accepter la galère et rester forts.

Le jour de l’arrivée de la caravane à Genève, Valérie était là pour accueillir les caravaniers. Mais le lendemain matin, elle se lève pour aller à son stage dans le supermarché, alors que nous passons une belle journée avec les caravaniers. Mais mercredi, Valérie ne va plus à son stage. Quelque chose ou plein de choses font qu’elle n’y arrive pas. Elle n’y va pas, mais elle se lève et dit à son père qu’elle y va. Elle rencontre même des caravaniers dans le bus et elle leur dit aussi qu’elle va au boulot. Mais elle passe sa journée en ville, à attendre qu’il soit l’heure de pouvoir rejoindre les autres jeunes sans que personne ne se doute de son absence au boulot. Jeudi elle a congé et elle passe la journée avec nous. Elle est assise à la table « d’honneur » au Forum intitulé « Un avenir pour tous les jeunes ! » que nous avons organisé dans le quartier et elle s’exprime avec force sur ce que les jeunes vivent quand ils sont laissés dans le vide, et cela devant 80 personnes. Elle voit sa conseillère et elle lui dit que tout va bien.

Le hasard a fait que j’étais sur le palier de l’appartement de Valérie quand son père a eu un appel du supermarché lui demandant pourquoi sa fille ne venait plus. Il était enragé et il ne voulait pas me croire que je n’étais pas au courant. Je ne pouvais pas croire que Valérie ne m’avait rien dit. Mais la réaction du père de Valérie était d’aller boire un café avec elle pour discuter. Je le sentais désespéré, très inquiet et en attente envers moi.

Après cette discussion entre père et fille, j’ai retrouvé Valérie en larmes, posée dans l’herbe, pas loin de l’action des caravanes, la musique et les ateliers dans son quartier. On a parlé pendant des heures. Elle m’a parlé de sa peur de décevoir et elle se culpabilisait : « Je déçois mon père, ma conseillère, même toi… » et « J’ai encore échoué. » Elle a tellement l’habitude de porter la responsabilité, d’assumer un rôle qui dépasse largement le sien qu’elle pense avoir la force pour tout, être invincible. Elle me dit après qu’elle avait mal au dos des premiers deux jours de travail, et qu’elle avait trop peur de ne pas pouvoir bien travailler parce qu’elle avait mal au dos. Donc elle a préféré ne pas y aller.

Valérie a participé aux dernières journées des caravanes, peut-être « fuyant » d’une certaine manière la réalité, mais elle a pu récolter les fruits de son engagement. Le jour du départ de la caravane, la réalité nous a rattrapés quand sa conseillère m’a appelée pour me dire que Valérie allait être virée de la structure d’insertion, vu qu’elle n’a pas suivi son stage comme convenu. J’ai appelé Valérie. Elle m’a dit qu’ils lui avaient dit qu’elle n’était pas prête, pas capable d’assumer une formation. Qu’avant ça il fallait qu’elle travaille sur elle-même, qu’elle dénoue ses souffrances d’enfance et qu’une fois qu’elle aurait compris pourquoi elle se mettait sans arrêt en situation d’échec, elle serait prête à revenir. Valérie me disait aussi que ses conseillers avaient dit que ça ne valait pas la peine qu’elle reconstruise un lien avec un psychologue, vu la relation de confiance qu’elle avait avec moi. C’était le jour du départ de la caravane, j’étais épuisée et ça me « tombe dessus » cette responsabilité, ces adultes qui laissent Valérie sans rien en la rassurant : « Mais tu as Alice. »

Le lendemain, on a été manger un bout ensemble pour discuter. Elle m’a impressionnée, une nouvelle fois, par sa force et sa volonté. Elle avait déjà pris un rendez-vous avec un psychologue pour la semaine suivante. Elle avait trouvé les contacts pour voir une personne à l’hôpital pour perdre du poids. Je ne sais pas où elle va chercher cette force.

Aujourd’hui Valérie cherche toujours. Elle est toujours sans rien. Elle passe par des phases de perte de motivation, qui sont souvent liées à sa frustration de ne pas gagner assez d’argent.

Je l’accompagne maintenant à d’autres organismes d’aide à la recherche d’emploi et nous entamons la demande pour l’aide sociale. Quand je me retrouve avec elle devant l’assistante sociale, je ne reconnais pas la Valérie que je connais, celle qui dit son opinion, qui ose et aime parler. Au centre d’action sociale, elle parlait à peine, elle avait une toute petite voix, elle regardait par terre. ça me remet en question. Qui suis-je, sans aucune formation ni réelles ressources pour l’emploi, à donner de l’espoir aux jeunes, à leur dire qu’ils trouveront ? Je suis celle qui est là.

[1] Les Universités populaires Quart Monde furent créées en 1972 par Joseph Wresinski. Elles sont des espaces de dialogue entre le Quart Monde et la société où la parole de chacun est reconnue et enrichie du savoir et des expériences des autres. Elles se réunissent autour d’un thème précis, en général une fois par mois, au niveau régional dans plusieurs pays d’Europe.             

17 avril 2008

          
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  • Art, misère, engagement. Un blog tout en couleurs, poésies et interrogations sur l'extrême pauvreté dans le monde. Un blog sur la nécessité de l'engagement personnel. Des témoignages sur la lutte, l'espoir, la joie et la force de la vie.
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